Les FORTINS de VENISE
par
Pierre LEGRAND et Claudine CAMBIER


“LE  CONCERT  INTERROMPU” -EXTRAITS 
Les mystères de Venise en 1500
Romans  Policiers  Historiques
de  Pierre  LEGRAND  &  Claudine  CAMBIER
***

VENISE, 1509.
L’inquisiteur Alvise Badoer, robe rouge et barbe blanche, avait de longues mains osseuses dont il jouait avec élégance, une lenteur majestueuse, un parler doux et onctueux d’aristocrate, démenti par un œil perçant d’inquisiteur.
– Je vous accorde un instant, un instant seulement, Messer Chancelier. Vous m’en voyez navré, nous tenons conseil dans une demi-heure à peine. 
Aurelio jugea qu’il lui fallait moins d’une demi-heure pour remettre en mains propres un rapport important, en dévoiler le contenu et se décharger d’une affaire délicate auprès de l’un des juges suprêmes qui saurait qu’en faire, étant donné que, de toute façon, elle n’était pas du ressort de la haute chancellerie. Mais dès la première phrase, Badoer quitta sa souveraine sérénité.
– Mort, dites-vous ? Ce n’est pas possible !
– Mort dans des circonstances troublantes qui méritent d’être éclaircies, Excellence.  
Badoer voulut en savoir plus sans attendre, et comme sa mauvaise vue l’empêchait de lire le manuscrit, Aurelio résuma les faits, texte à l’appui. 
– Ainsi donc, conclut le Chancelier, tout cela me semble fort ténébreux et je ne vois que trois possibilités. Messer Contarini est mort à la suite soit d’un accident tragique, auquel a succédé un vol, soit d’un meurtre dans l’intention de le voler, ou dans toute autre intention qui nous échappe encore. 
Les mains d’Alvise Badoer se mirent à voleter dans l’air comme deux papillons gigantesques.
– Ce que vous me dites, Messer Chancelier, est bien plus étrange que vous ne le pensez. Car apprenez une chose que vous ignorez encore : feu Messer Girolamo Contarini, dont la disparition brutale nous attriste autant qu’elle nous trouble, nous avait demandé audience et nous nous préparions à le recevoir, à l’instant même où je vous parle.
Ce fut au tour d’Aurelio de redresser le front pour marquer sa stupeur.
– « Nous », fit-il, vous voulez dire…
– Oui,  les trois inquisiteurs. Oh, il m’est arrivé plus d’une fois de répondre à sa demande concernant un point précis à propos des responsabilités qui incombent à sa charge… mais je vous confirme que cette fois, il ne requérait pas mon avis personnel, mais s’adressait à l’institution. 
Les deux hommes se faisaient face mais rentraient en eux-mêmes, muets et pensifs. Décidément, tout, dans cette affaire, sonnait grave, et rien n’était accidentel. Badoer souleva sa main, pointait son index vers le ciel, ou plutôt vers la question centrale :
– Qui ne voulait pas qu’une information concernant l’État soit connue de nous ? 
– C’est une admirable manière de résumer la question, Excellence. Qui ? En temps de guerre, les réponses sont multiples.

LE  CHASSEUR  DE  TEMPÊTES.
– Mais, Signor Chancelier, dans ce cas, il faudrait retourner aux archives !
– Nous y retournerons s’il le faut, Messer.
Roberto s’en fut donner des ordres au commis et revint bientôt avec une première liasse de documents. D’autres suivraient, assura-t-il.  
– Cherchez-vous,  Excellence, un nom ? Un chiffre… ? hasarda Alessandro devant l’envahissement qui se préparait.
– Signori, je ne sais, répondit Aurelio. 
Mais comme les deux Strozzi s’échangeaient des regards désespérés, il explicita sa pensée :
– Je ne suis pas banquier, Signori. Mais il me semble qu’un compte de numéraire trahit la respiration d’un être humain, ses appétits, son régime. Un médecin me compara un jour les besoins d’un être vivant à l’eau de notre lagune. On y observe des mouvements réguliers, des fluctuations, des hausses et des baisses de niveau dues seulement à des influences comme les vents, les marées, les circonstances ordinaires de la vie des eaux. Je veux connaître le niveau des dépenses ordinaires de Ser Pietro et de son épouse ; nous verrons alors s’il y a des tempêtes. Je cherche les tempêtes, Signori. C’est cela, des tempêtes. 
Aurelio vit bien que Ser Alessandro, né dans les collines de Toscane, n’avait jamais pensé que, dans ses livres, il consignait les mouvements des marées et le souvenir des tempêtes. Le vieil homme secoua la tête. Ces Vénitiens étaient des gens bien étranges.
– Qu’entendez-vous par tempêtes, Excellence ? 
– Eh bien voyons, des mouvements intempestifs, des retraits subits, de brusques afflux, des vides, des vagues, qui trahissent une vie mouvementée…

UN  JOUR  FUNESTE.
– Vous prierez ce Bianchi de rembourser les huit ducats qu’il nous a coûté et vous le renverrez à Bergame en le débarquant dans les marais de Fusina ! 
– Je le ferai, Excellence, si vous trouvez que cela s’impose, mais il ne le comprendra pas. C’est la première fois que cela arrive. Aucune fille jusqu’ici n’a eu le moindre soupçon sur les dires de Ser Bianchi. Et je me demande si la différence d’avec les autres fois, ce n’est pas la qualité de la fille.
– Que voulez-vous insinuer ? cracha Aurelio d’un  ton rogue.
Mais en même temps, il sentit que Mosca touchait du doigt la vérité. D’ailleurs, le sbire se justifiait avec une simplicité désarmante : 
– Ce n’est pas moi qui ai dit qu’elle était exceptionnelle, c’est la padrona elle-même. Cette fille est d’une dangereuse intelligence.
Aurelio se contenta de grogner. Voilà une chose qu’il savait depuis le premier instant : si cette femme se mettait à comploter, elle le ferait avec une telle intelligence qu’il serait bien difficile de la confondre. Andrea Gritti n’y était pas parvenu et lui, Aurelio, se sentait pris à son tour dans les rets de sa séduction. Mais un principe veut que le chef n’exprime pas ses craintes et qu’il ait toujours le dernier mot, en forme de leçon, avant de pousser plus avant dans l’action :
– Mosca, si les femmes se mettent à être intelligentes, cela veut dire qu’il est temps pour nous de l’être doublement. Et je vous prie de vous conformer à cette obligation. 

LE  PARI.
– À demain, Messer Cartelloni, lança-t-il s’approchant du secrétaire.
Le brave homme se leva à demi, l’air surpris.
– Je vous supplie d’attendre, Excellence, je n’ai pas encore appelé votre escorte. 
Aurelio s’arrêta, pensa en un éclair que si la vérité à laquelle il était parvenu était la bonne, il n’avait plus besoin d’escorte. Plus d’escorte : certes, c’était prendre un risque. Il s’interrogea : était-ce le corollaire de sa conviction ou de la témérité ? Mais il était dans un  état d’esprit un rien euphorique et lança :
– Vous pouvez donner congé à mon escorte, Messer. Je crois pourvoir m’en passer.
– Pour de bon ? 
– Je le crois, affirma le chancelier.
Mais Ser Cartelloni, en observant le visage de son maître, avait perçu l’éclair d’hésitation qui signifiait « ou du moins je l’espère », éclair suivi aussitôt de sa détermination souriante. 
– Sachez que je compte me rendre chez Titien, continua Aurelio sur un ton dégagé. Je vous prie d’ailleurs de m’y faire annoncer. Envoyez un vas-y dire qui m’attendra chez le peintre. J’aurai une charge à lui confier. Je l’y rejoindrai après être passé par Rialto, où j’ai à faire.
Le pont de Rialto était encombré ; Aurelio progressait avec difficulté dans la foule. C’était dans l’affluence de Rialto, parmi ses richesses et ses marchands que se glissaient les mauvais garçons, les tire-laine et les joueurs de couteau. Mais ils entraient en action à la nuit tombée, et d’ailleurs, qui oserait l’agresser dans cette presse ? Mais Aurelio, tout en affichant son air indifférent, avait repéré quelques mines patibulaires qui lui lançaient des regards de vautour avant la curée. Arrivé de l’autre côté du pont, dans la calle dei orefici où se trouvait le bijoutier le plus réputé de la ville, un homme habillé en portefaix, roulant ses épaules athlétiques, les mains dans de volumineuses poches, sembla se diriger dangereusement vers lui. Aurelio changea de trajectoire, s’intéressa à l’étal d’un orfèvre, discuta le prix d’un saucier, le temps que l’individu disparaisse dans une calle adjacente. La boutique du bijoutier n’était plus qu’à quelques pas.

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 Crédit photographique :“Le concert”, TITIEN,  Palazzo Pitti, Florence, Italie. (Valcanover.F, Titian , Prince of Painters. Prestel-Verlag, Munich, Germany, 1990).
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